Le volet internet de la loi antiterroriste et l’avis du Conseil National du Numérique

Le débat sur le contrôle de l’internet et des réseaux sociaux est relancé : lutte antiterroriste sur le web, messages de haine, propagandes, piratage de comptes etc. Alors que les décrets de la loi antiterroriste ne sont pas tous publiés, le gouvernement devra annoncer dans les prochains jours des mesures spécifiques, certains élus vont même jusqu’à réclamer un Patriot Act à la française.

L’une des dispositions de la loi antiterroriste votée au mois de Novembre était la pénalisation d’apologies du terrorisme, elle a été sortie de la loi sur la liberté de la presse votée en 1881 pour la faire entrer dans le code pénal : 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour qui fait l’apologie du terrorisme dans la vie publique, et cette disposition pénalise encore plus ceux qui le font sur internet car on monte à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Au moment du débat de cette loi par les parlementaires il y avait eu des crispations car on se demandait s’il y avait de l’antisémitisme, xénophobie, ou racisme spécifique à internet.

Entre le 12 et le 17 janvier, 17000 signalements ont été communiqués à la plateforme Pharos, le portail officiel de signalement des contenus illicites sur internet, où 12 personnes travaillent 24 heures sur 24 pour traiter l’augmentation d’afflux de ces derniers jours. Ils étudient les contenus, et les transmettent, lorsque nécessaire, au parquet des juridictions concernées pour proposer une réponse. Le défi est de fixer les raisons pour lesquelles on pénalise un contenu et pas un autre…

Depuis le 7 Janvier, une cinquantaine de cas ont été déférés devant les parquets, est-ce la meilleure réponse pour des gens qui ont une certaine porosité à des discours radicaux ?

Pour Benoit Thieulin, Président du Conseil National du Numérique – une commission consultative indépendante qui rend des avis sur toute question relative à l’impact du numérique sur la société et sur l’économie –  et fondateur de l’agence la Netscouade, ces cas sont manifestement déferrés pour l’exemple, et pour lui cela pose problème. Cela illustre une forme de déconnexion entre les usages sur les réseaux sociaux et la réalité du droit.

Concernant le volet internet de la loi antiterroriste, Benoit Thieulin pense que c’est inefficace voire contreproductif. Le filtrage et le blocage de sites ne permet pas de dessiner une ligne maginot numérique aux frontières de l’hexagone. Si l’on demande par exemple aux fournisseurs d’accès de mettre des barrières devant un certain nombre de sites et donc les bloquer, toute personne utilisant une connexion VPN va pouvoir contourner ces blocages, donc les personnes déterminées à aller voir ces sites pourront continuer de le faire.
Il pense aussi que personne ne va sur un site djihadiste pour se radicaliser, car les processus de radicalisation commencent, entre autres, sur les espaces publics d’internet : les grands forums, les grands réseaux sociaux, à travers de milliers de sujets où on parle politique. L’expression du débat public sur ces espaces se dégrade, est souvent très agressive. Il ajoute que tous les terroristes qui ont organisé des attentats ces dernières années n’ont pas utilisé internet pour s’organiser, ça fait longtemps qu’ils savent qu’internet est un endroit où ils sont particulièrement bien surveillés.

Il propose alors de réfléchir à des mécanismes où les sanctions sont proportionnées aux actes. Pour lui, elles sont aujourd’hui disproportionnées par rapport à la réalité sociale de ce que cela exprime, donc il faudrait faire en sorte que les sanctions soient prises à l’intérieur de la plateforme où le délit est commis, une forme de régulation communautaire. C’est la communauté qui devrait signaler les propos illicites, et la sanction doit porter sur le « capital social » c’est-à-dire sur la réputation, et aller jusqu’à la suppression du compte.
Il ajoute que cette problématique d’apprendre à vivre ensemble à l’ère numérique devrait aussi être prise en compte par l’éducation nationale et être enseignée, car ces nouveaux problèmes nécessitent de nouveaux codes de bonne conduite. Pour Benoit Thieulin, il faut apprendre à se servir de ces nouveaux pouvoirs d’expression.