Tribune publiée dans Le Monde
On parle beaucoup des fake news qui circulent sur Facebook, de l’expression pulsionnelle qui y prime sur le rationnel, ou encore des fausses rumeurs qu’il permet de véhiculer de manière virale. Mais que sait-on de son efficacité pour servir l’activisme social ?
Pour sa défense, on peut dire que, contrairement à ce que l’on entend
souvent, Facebook ne favorise pas la propagation de propos d’extrême
droite. Selon une étude de chercheurs en science de l’information et de
la communication (Les Gilets Jaunes, des cadrages médiatiques aux paroles citoyennes,
Rapport de recherche préliminaire, 26 novembre 2018, Laboratoire
d’Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales, Axe Médias et
médiations socio-numériques – Université de Toulouse) décryptée par
Arrêt sur images (Plus politiques que dans les journaux : les gilets jaunes dans le miroir de Facebook, 27/11/2018), on observe en effet dans les post et commentaires relatifs au sujet des Gilets jaunes une «très faible occurrence du vocabulaire raciste« , et une « quasi-absence de terminologie d’extrême droite« .
Par ailleurs, si elle participe à la propagation de rumeurs – comme
celles par exemple de la « vente de la France à l’ONU » ou de la venue
de « mercenaires sur le sol français »- la plateforme n’est pas à
l’origine de leur lancement. Pour l’historien Jean-Noel Jeanneney, « la
rumeur, intox, ou fake news, est un grand classique des périodes de
troubles. On n’a pas attendu Facebook et les réseaux sociaux pour les
faire circuler » (C Politique,
épisode du 09/12/2018). Il prend pour exemple l’épisode de la « grande
peur » de juillet 1789 qui reposait sur une rumeur qui se propagea dans
les campagnes et selon laquelle un groupe d’aristocrates allaient
imposer de nouvelles taxes aux paysans. Avant que la vérité ne soit
rétablie, les réactions furent violentes (pillages, émeutes, et
incendies) et leur ampleur telle qu’elles participèrent au déclenchement
de la révolution française.
Par contre, Facebook n’est peut-être pas aussi efficace que l’on
pense pour servir les intérêts des activistes. C’est ce que pense la
chercheuse et techno-sociologue Zeynep Tufekci qui analyse le rôle des
medias sociaux dans les manifestations. Pour elle, la technologie donne
du pouvoir aux mouvements sociaux mais elle les fragilise aussi. Les
messages des révoltes arabes, du mouvement des Indignés, ou encore
d’Occupy ont fait le tour du monde, mais les réponses politiques
obtenues n’ont pas été à la hauteur des énergies déployées. Par exemple,
en 1955, le mouvement pour les droits civiques en Alabama avait obtenu
des concessions politiques majeures car il avait réussi à s’organiser,
et à braver les dangers et répressions grâce à la force du collectif et
au temps passé à structurer le mouvement. Mais le mouvement Occupy, qui
lutte contre les inégalités sociales depuis 2011, bien qu’il ait réussi à
organiser des manifestations dans plus de 950 villes dans 82 pays,
n’est pas parvenu à faire changer les politiques en place. Pour la
chercheuse, cela est dû au fait que ces mouvements s’organisent vite et
gagnent en visibilité grâce aux réseaux sociaux, mais ils ne pensent pas
de manière collaborative, ne développent pas de propositions fortes, et
ne parviennent pas à créer des consensus. Un peu comme les start ups
qui se développent rapidement mais qui échouent tout aussi vite par
manque de base organisationnelle suffisamment solide pour surmonter les
obstacles.
L’un des bénéfices des réseaux sociaux est de faciliter
l’organisation logistique d’un mouvement. Mais c’est aussi sa faiblesse.
En raccourcissant les délais d’organisation et en minimisant les
réunions physiques, elle ne permet plus aux individus de forger une
pensée collaborative et innovante, de construire des fondations solides
qui leur permettront de résister aux obstacles – notamment ceux de la
gestion des différences d’opinion – et de trouver l’endurance dont ils
ont besoin. Car tout cela prend du temps, et implique de faire de la
politique – au sens de Politeia, qui a pour vocation de structurer une somme d’individualités au service, notamment, d’une réflexion et action sociale. « Les
mouvements d’aujourd’hui ne veulent pas d’encadrement institutionnel ni
se mêler de politique par peur de la corruption et de la cooptation.
Mais en opérant de cette manière, il leur est difficile de durer dans le
temps et d’influencer le système ». (Zeynep Tufekci, TEDGlobal 2014, Online social change: easy to organize, hard to win),