Après la campagne électorale de Donald Trump aux Etats-Unis, la victoire du Brexit au Royaume-Uni, et récemment les « Macron Leaks », le concept de « fake news » fait désormais partie du langage courant. Le terme « post vérité » a même été élu mot de l’année 2016 par les dictionnaires Oxford. Il recouvre diverses formes de manipulation de l’information sur les réseaux sociaux, et poursuit des buts évidents et même parfois avoués.
De quoi vivent les plateformes sociales ?
De nos données. Celles qu’elles récoltent sur nos comportements, notamment pour cibler au mieux les publicités qu’elles diffusent, ou encore pour personnaliser les offres payantes qu’elles proposent. Et le nombre d’informations qui y circulent, additionné au nombre de clics (les likes, partages ou commentaires), produit toujours plus de ces données. Les réseaux sociaux sont un formidable outil de communication, mais certaines mauvaises pratiques s’y développent librement car les plateformes ont tout intérêt à ce que les informations et les clics qui y circulent se multiplient.
Gonfler les clics : les fermes à clics
Le fonctionnement algorithmique des plateformes sociales repose sur la popularité : les messages les plus cliqués sont ceux qui remontent le plus dans les fils d’information, donc ils sont les plus vus et re cliqués. Mais ce nombre de vues et de clics peut être trafiqué. C’est le travail des « fermes à clics », qui, à la demande de certaines entreprises ou organisations souhaitant gagner en visibilité et en popularité, cliquent sur leurs contenus, vidéos, images, etc. Ces gonfleurs de clics emploient (plus ou moins légalement) des personnes souvent situées dans des pays émergents, où le taux de chômage est élevé, qui cliquent toute la journée. En France, on trouve par exemple ce type de service, sur la plateforme 5euros.com. Pour le sociologue Antonio Casilli, cette pratique remet gravement en cause la fiabilité de la viralité de l’information. C’est ce qu’il développe dans son article « Qui a fait élire Trump ? Des millions de « tâcherons du clic » sous-payés », publié le 19 novembre 2016 sur Rue 89.
Faire circuler de fausses informations : les usines de contenus et faux articles
Il existe aussi la pratique de la mise en circulation de faux articles sur les réseaux sociaux, soit par des individus, soit par des usines à contenus. Ce sont des organisations qui diffusent des articles constitués presque uniquement de mots clés, afin de tricher avec les algorithmes de référencement, et être positionné en tête des requêtes par les moteurs de recherche. Il existe aussi des auteurs qui écrivent de faux articles, aux contenus étonnants ou inquiétants, dans le seul but de les faire circuler massivement. La campagne de Donald Trump offre encore un exemple de cette pratique, avec la diffusion, de source inconnue, de la (fausse) nouvelle qui affirmait que le Pape soutenait sa candidature. Cette information a été vue plus d’un million de fois sur Facebook. Pour Dominique Cardon, dans son livre co écrit avec Antonio Casilli Qu’est-ce que le Digital Labor ? (INA Editions), ce sont les plateformes elle-même qui incitent à fabriquer ce type d’informations puisque c’est leur source de profit.
La sur représentations de certains médias sur internet
Dans son étude sur les communautés Facebook des candidats à la présidentielle les plus influents sur le web, (présentée sur un live facebook le 30 Mars 2017), l’agence de communication Reputation Squad a identifié une hiérarchie surprenante des medias français les plus appréciés sur Facebook. Pour les medias les plus « likés » on trouve en premières positions 20 Minutes, Le Parisien, L’Express, l’Obs, Le Figaro et Le Monde. Mais en 7eme position arrive Russia Today France (RT), suivie de près par Sputnik News, deux antennes françaises de médias russes. Ces deux publications ne récoltent pas beaucoup de clics par publication, mais depuis environ 2 ans, ils en diffusent énormément et inondent la plateforme de leurs articles. Ils sont financés par le Kremlin, ont une vision pro russe assumée, diffusent des articles qui prennent part à de nombreuses théories du complot et accusent régulièrement les médias occidentaux de désinformation. Pour Romain Pigenel, directeur adjoint chargé du numérique du Service d’information du gouvernement (SIG), interviewé par l’Obs le 2 janvier 2017, leur objectif est de montrer que les sociétés occidentales vont mal, et de faire penser que c’est le lieu du chaos. Et pour l’expert en sociologie Tristan Mendes France, interviewé sur France Inter par Lea Salamé le 26 décembre 2016, cette manipulation de l’information pose un vrai problème. Car s’informer sur un réseau social, c’est voir uniquement les nouvelles partagées par un réseau d’amis ou de connaissances, ce qui enferme dans une communauté et peut, à terme, radicaliser les opinions de certains.
Les initiatives pour contrecarrer le phénomène des fake news
Quelques mois après l’élection de Donald Trump, de nombreuses plateformes numériques ont lancé des initiatives de vérification des informations publiées sur leurs sites. Facebook, en collaboration avec huit médias français (dont Libération, Le Monde, BFMTV ou 20 Minutes), vient de lancer un outil de vérification des faits qui signalera à ses utilisateurs des contenus qui paraissent douteux. Google a créé le label « fact check ». Il indique le niveau de véracité des informations remontant dans son moteur de recherche, lorsqu’elles ont été vérifiées par les utilisateurs, par l’un de ses 17 partenaires français (comme Libération, Le Monde, l’AFP, BuzzFeed, Streetpress ou Ouest-France), ou encore par des étudiants en journalisme encadrés par l’agence France Presse.
Coté médias, l’extension This is Fake de Slate permet aux lecteurs de signaler un article litigieux trouvé sur internet, l’extension des décodeurs du Monde le Decodex est un outil similaire pour assurer la fiabilité des sites consultés, et Libération a créé la rubrique de fact checking Désintox.
Selon le baromètre annuel de la confiance des Français dans les media réalisé pour La Croix par Kantar Public le 2 février dernier, 1 français sur 4 s’informe sur internet, ce qui en fait la deuxième source d’information derrière la télévision. Mais seulement 26% d’entre eux font confiance à l’information relayée sur internet. C’est une mauvaise nouvelle pour les médias qui n’ont aucune intention de manipuler l’information, c’est-à-dire quand même la majorité d’entre eux, car ils vont devoir redoubler d’efforts pour regagner la confiance de leurs lecteurs …