L’ESS est une alternative économique aux systèmes actuels, et se développe particulièrement bien en France, notamment grâce aux nouvelles technologies. Mais les critiques qu’elle essuie sont le signe que le modèle est encore perfectible.
Qu’est-ce que l’ESS ?
L’ESS est une spécificité française. Ce sont les « charities » du Royaume Uni, et le « non profit sector » des Etats Unis. Pour le labo de l’économie solidaire et sociale, dans un contexte de post crise économique et d’austérité publique, l’ESS défend les valeurs d’« une économie au service de l’homme et non au service du profit ». L’Agence de Valorisation des Initiatives Socio-Economiques (AVISE) la définit comme le regroupement d’ « un ensemble de structures – associations, coopératives, mutuelles, fondations, entreprises à statut commercial – cherchant à concilier utilité sociale, solidarité, viabilité économique et gouvernance démocratique ». Et toutes appliquent les mêmes principes : gouvernance participative, lucrativité limitée, participation à des missions d’utilité sociale.
Objectif : faire contrepoids à une culture néolibérale mais aussi à un modèle étatiste
L’exemple type de culture néolibérale est celle de la start up. Dans son livre Zero to one, édité chez Crown Business (16 septembre 2014), l’entrepreneur et investisseur américain Pether Thiel définit ses quatre piliers constitutifs : elle doit être disruptive, c’est-à-dire qu’elle doit perturber le marché, ses codes et usages, grâce à une innovation ; elle doit croitre à bâtons rompus, grâce notamment à des levées de fonds ; Elle doit ambitionner de posséder toutes les parts d’un marché; et cette position monopolistique doit pouvoir lui permettre de négocier des aménagements avec les législateurs. Le tout afin de « rendre le monde meilleur », devise psalmodiée en boucle par la Silicon Valley. Selon le rapport d’activité 2015-2016 de l’Agence du numérique, le nombre de créations de startups en France a progréssé de 30% entre 2012 et 2015, soit dix fois plus que les entreprises traditionnelles. Au-delà du fait que sur les 10.000 start-up recensées ces cinq dernières années, 90% n’ont pas franchi le cap des cinq ans d’existence (étude de l’INSEE, 2016), les entrepreneurs français ont-ils tous envie de suivre cette culture entrepreneuriale ? Il semble que non. Car la start up a introduit certaines pratiques économiques perçues comme destructrices des valeurs humaines et sociales. C’est notamment pour contrebalancer cette culture que nombreux entrepreneurs développent le modèle alternatif de l’ESS.
Pour Georges Bory, expert de l’innovation numérique et co-fondateur d’ActiveViam, éditeur de solutions pour l’aide à la décision, l’ESS est aussi et surtout une alternative à l’Etat providence. Traditionnellement garant de la préservation du modèle social en France, ce dernier peine désormais à s’adapter aux besoins actuels et est réduit à modèle planiste. « Aujourd’hui l’Etat providence décide de ce qui doit être produit : lignes de TGV, centrales nucléaires, etc. Et Il contrôle même le bonheur des gens avec ses politiques d’allocations familiales ! Dans un pays ou les dépenses publiques atteignent 57% du PIB, il n’est alors pas étonnant d’y trouver un terreau fertile pour le développement d’une économie alternative ».
Conjuguer innovation technologique et innovation sociale
Pour y parvenir, l’ESS – comme tous les autres secteurs d’ailleurs – mise sur le numérique. Notamment sur les plateformes d’échanges en temps réel ou sur le big data, qui permettent de favoriser la mobilisation, l’innovation, la transparence, et d’imaginer des solutions inédites. Et la France se montre particulièrement innovante en la matière. Parmi les 300 lauréats du classement Forbes des jeunes entrepreneurs les plus innovants d’Europe réalisé l’année dernière, elle a fait figure de championne dans la catégorie Entrepreneuriat social. Le dernier dossier spécial du magazine Socialter (numéro 25), qualifie même le pays de « Social Valley ». En effet, le paysage français de l’ESS est très riche, en voici un aperçu :
– Les entreprises (associations, coopératives, collectifs, etc.) : le Conseil National des Chambres Régionales de l’ESS (CNCRES) en répertorie 297 632. Par exemple: Pickasso, Singa, Paygreen, Woodoo, Goodeed, Odyssem, Osons Ici et Maintenant, Défis, Ecov, V@sy, etc.
– Les Think tanks: Positive Planet, La Fabrique du Changement, Bleu Blanc Zèbre, Les Fermes d’Avenir, Oui Share, Sharers and Workers, Colibris, Ad’hoc, Good Tech Lab, etc.
– Les agences de conseil : Les petites rivières, Les beaux jours, Utopies, etc.
– Les groupes d’accompagnement d’entrepreneurs : Ticket for change, On Purpose, MakeSense, Ashoka, Le PoLes, etc.
– Les incubateurs: SenseCube, Darwin, le Comptoir de l’innovation, France Active, etc.
– Les conférences : ChangeNOW, Global Positive Forum, Positive Economy, Festival Youth We Can !, Le mois de l’ESS, Tech It Easy, OuiShare Fest, etc.
Un modèle encore perfectible
Certains pensent que les acteurs de l’ESS sont des entrepreneurs en tee-shirt, des activistes branchés, ou encore des intellectuels écolos. En quelque sorte, des hippies modernes. Le titre du Oui Share Fest en 2015, « Lost in transition » (perdu dans la transition), n’inspirait d’ailleurs pas beaucoup confiance. Le secteur est pourtant solide, il représente aujourd’hui environ 10,5% du PIB, et compte 2,4 millions de salariés (Panorama de l’économie sociale et solidaire en France, CNCRES).
C’est donc plutôt à travers l’angle de la précarité que l’on devrait regarder pour trouver une critique constructive de l’ESS. Dans leur livre L’économie sociale et solidaire : de l’utopie aux pratiques (éditions La Dispute, coll. « Travail et salariat », 2013) Matthieu Hély et Pascale Moulévrier en proposent une. Puisqu’elle appartient à une économie de marché, l’ESS n’est, selon eux, que « la forme dominée d’une économie dominante ». L’emploi n’y est en effet pas conforme aux normes de références sur le marché du travail. Car on y trouve plus d’emplois précaires, les conventions collectives y sont peu développées, les conditions de travail sont souvent difficiles, les salaires inférieurs à ceux du secteur privé. L’ESS est donc une sorte de fonction publique précarisée, qui en a les missions sans en avoir le statut et les protections.
Autre critique, celle du modèle de l’économie collaborative développée par les plateformes de type Blablacar et Airbnb. Car seuls les propriétaires de logements et de voitures peuvent générer des revenus de la location de leurs biens, ce qui n’est pas vraiment en phase avec les objectifs d’égalité sociale que poursuit l’ESS. Hugues Sibille, président de la Fondation Crédit coopératif et du Labo de l’ESS dans une interview à Rue 89 le 26 aout 2016 s’en défend : « les gens utilisent de manière synonyme, économie collaborative, économie du partage et économie sociale et solidaire. C’est une erreur : ce ne sont pas les mêmes finalités ».
L’évènement Le Mois de l’ESS qui se déroule dans quelques jours – 2000 évènements organisés en Novembre dans toute la France pour promouvoir l’ESS auprès du grand public et des professionnels, organisé par CNCRES – sera peut-être l’occasion d’avancer sur ces sujets…