On associe le Darknet à la vente de drogue, au trafic d’armes, aux tueurs à gages, au terrorisme, ou encore à la pédophilie. Mais c’est une vision partielle du Darknet. On y trouve de tout, mais aussi une alternative à l’internet traditionnel, utile pour de nombreuses activités vitales à la démocratie.
A l’origine du Darknet
Le Darknet est un réseau internet alternatif à celui que nous utilisons tous les jours, où il est difficile de collecter des données personnelles, et d’identifier les utilisateurs. On devrait d’ailleurs parler des Darknets, car il en existe des dizaines. Freenet, I2P, GNUnet, et Tor sont les plus utilisés. Ce dernier est le plus célèbre d’entre eux, avec 2 millions d’utilisateurs par jour. La France en est le 6ème utilisateur au monde derrière l’Allemagne, les Etats Unis, Les Emirats Arabes Unis, la Russie et l’Ukraine (selon les metrics de Tor).
Les Darknets ont été inventés dans les années 1970 par le gouvernement de la marine américaine, qui avait besoin d’anonymiser ses connexions. Ils créèrent alors des réseaux isolés d’Arpanet (l’ancêtre de l’Internet) capables d’échanger des données de manière non traçable. Le terme est devenu publique en 2002 suite à un article rédigé par quatre employés de Microsoft. Ils y décrivaient l’incidence négative des Darknets sur la gestion des droits d’auteurs, et proposaient de développer des outils de DRM (gestion des droits numériques) pour y remédier.
En ce qui concerne Tor, bien qu’il soit aujourd’hui maintenu par une organisation à but non lucratif – le Tor Project, auquel contribuent de nombreux mécènes comme l’Electronic Frontier Foundation, Human Rights Watch, la Freedom of the Press Foundation – le réseau est encore financé à 90% par le gouvernement américain au titre de la lutte contre la censure et la surveillance dans certains pays (comme la Chine ou l’Iran par exemple). C’est ce qui fait dire à Jean-Philippe Rennard, économiste et informaticien, que « l’administration américaine tient un double discours. D’un côté elle soutient Tor, et de l’autre, c’est-à-dire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, elle le dénonce » (France Culture, La méthode scientifique, Adieu Darknet, bonjour Librenet, 29/03/2017).
Clearnet, Deep Web, Darknet … les définitions
Clearnet : c’est le terme utilisé par les utilisateurs du Darknet pour décrire l’internet traditionnel. Google.com est par exemple un site web hébergé sur le clearnet. Le niveau d’anonymat y est relativement faible car la plupart de sites identifient les utilisateurs par leur adresse IP et collectent leurs données.
Le Deep web : c’est la partie du web qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche. Par exemple, lorsque l’on recherche des statistiques sur le site de l’Insee, cette requête n’est pas indexée par les moteurs de recherche. Nos documents stockés dans Google Drive n’y sont pas non plus. C’est en fait la plus grande partie du web, car beaucoup de données personnelles sont stockées dans le cloud. On le confond souvent avec le Darknet, mais il n’a en fait rien à voir avec ce dernier.
Les Darknets : ils constituent la partie anonymisée d’internet, et représentent une fraction minime de l’internet dans son ensemble. Pour naviguer sur l’un de ses réseaux, Tor par exemple, il suffit de télécharger l’application Tor Browser. En faisant transiter les connexions vers un réseau de trois « nœuds » (des serveurs) choisis au hasard – c’est ce que l’on appelle le « routage en onion », d’où l’acronyme de Tor : The Onion Router – et en chiffrant le contenu des communications, l’identification et la collecte de données est rendue compliquée. Les fournisseurs d’accès à internet peuvent voir lorsque l’on utilise un réseau du Darknet mais ne peuvent pas savoir ce qu’on y fait.
Les Darknets pour quoi faire ?
Ils servent à réaliser des opérations illégales – c’est le cas par exemple des sites Silk Road, AlphaBay ou encore Hansa qui ont été fermés et condamnés par le FBI – mais aussi à communiquer et à rechercher des informations sans être repéré par des gouvernements ou autres organisations. Il est donc beaucoup utilisé par des journalistes, des lanceurs d’alertes, des dissidents et des cyber militants. On y trouve aussi de militaires, des policiers, et des citoyens souhaitant préserver leur vie privée.
Les premiers promoteurs des Darknets sont les associations de journalistes. Par exemple, Reporter sans Frontières propose un kit de survie numérique, qui n’est rien d’autre qu’un guide d’accès au Darknet. Le Centre for Investigative Journalism (TCIJ) en Grande Bretagne propose le même type d’outil. Il s’agit de protéger les journalistes et leurs sources, car même en Europe ils peuvent faire l’objet de fortes pressions. Et dans les pays très peu soucieux des libertés individuelles, où certains sujets ne peuvent être abordés librement, les Darknets permettent de contourner ces interdictions.
Sans Darknets pas d’Edward Snowden, de Chelsea Manning, ou encore de Panama Papers. Ils permettent de révéler des scandales d’Etat et actions illégales, et de les dénoncer de manière anonyme. Car même dans nos pays démocratiques, ce type de dénonciation est susceptible d’être poursuivie. Ce fut le cas par exemple avec la condamnation des deux lanceurs d’alertes dans l’affaire des Luxleaks.
Et enfin, les Darknets ont permis à certains dissidents chinois, opposés au régime en place, de relayer leurs idées ; aux communautés homosexuelles russes, ukrainiennes ou ougandaises de s’exprimer ; ou encore aux Printemps Arabes de voir le jour.
« Le grand méchant Darknet »
« Ceux qui nous frappent utilisent le darknet » avait affirmé le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve face à l’Assemblée nationale, en réaction aux attentats qui avaient frappé l’aéroport et une rame de métro à Bruxelles le 22 mars 2016. Il est récurrent de diaboliser ces réseaux car cela permet aux politiques de trouver des boucs émissaires, et aux entreprises qui vivent de la collecte de données privées de les décrédibiliser. C’est pour cette raison que certains medias ironisent en le qualifiant de « grand méchant Darknet » (France Inter, Affaire Sensibles, Grand Méchant Darknet, 28/11/2017). Alors que les derniers attentats en Europe ont montré que les terroristes privilégient des moyens de communication très banals comme des téléphones jetables, les réseaux sociaux et des applications de messagerie chiffrées à l’instar de Telegram. Et que l’on sait que les sites illégaux ne représenteraient que 2 % des sites atteignables via Tor (Etude de l’Univeristé de Portsmouth, 2016).
Ce n’est donc pas l’outil qui doit être condamné – puisque c’est à nous de décider de l’utilisation que l’on souhaite faire des Darknets – mais certains de ses usages. Car on a le droit, et parfois le besoin, de ne pas être tracé en permanence …