Tribune publiée dans Les Echos
Constructeurs et géants technologiques ne cessent d’annoncer leurs progrès fulgurants en matière de voiture autonome, intelligente, connectée, et promettent une révolution imminente du paysage automobile et urbain. Et pourtant, c’est encore une route pavée d’embuches qui les attend…
Qu’est-ce qu’une voiture autonome, intelligente, connectée ?
Grâce à de multiples capteurs, la voiture autonome collecte une multitude de données concernant son environnement. Ensuite, grâce à des algorithmes, elle les analyse et les transforme en informations utilisables pour prendre des décisions. C’est en cela que la voiture autonome est intelligente. Et enfin, elle agit, c’est-à-dire qu’elle met en application ces décisions. Ce véhicule autonome, intelligent, est aussi (ou plutôt sera) connecté. Aux infrastructures urbaines (signalisations, stationnements, etc.), à des services numériques (musique, films, météo, e-commerce etc.) ainsi qu’aux autres voitures. Son objectif est de parvenir à se passer de conducteur humain.
Les différents niveaux d’autonomie
La voiture autonome en est encore à un stade expérimental. A ce jour, toutes les voitures autonomes en circulation le sont à titre de test, dans des zones strictement délimitées. Le SAE International (ex-Society of Automotive Engineers) définit un classement de cinq niveaux d’automatisation des voitures :
– Niveau 1 : « Eyes on, hands on » (regard sur la route, mains sur le volant)
Le véhicule assiste le conducteur avec par exemple un régulateur de vitesse, avec des alertes (de franchissement de ligne blanche, de collisions), et avec freinage automatique en cas d’urgence.
– Niveau 2 : « Eyes on, hands on » (regard sur la route, mains sur le volant)
Le véhicule peut, pendant quelques secondes, en cas d’embouteillages, ajuster la vitesse pour maintenir une distance adéquate avec les véhicules environnants.
Pour ces deux niveaux, le conducteur restant en charge de la conduite – comme stipulé dans La Convention de Vienne qui définit les règles internationales de la circulation routière – ces véhicules sont déjà commercialisés.
– Niveau 3 : « eyes on, hands off » (regard sur la route, mains libres)
La conduite peut être totalement déléguée au véhicule dans certaines conditions prédéfinies (sur autoroute par exemple), et le conducteur humain doit pouvoir en reprendre le contrôle à tout moment.
– Niveau 4: « Eyes off, hands off, mind off” (regard, mains et esprit libre)
En cas d’absence de réaction du conducteur, le véhicule doit pouvoir réagir seul, notamment en se mettant en position de sécurité lorsqu’il se juge incapable de contrôler une situation.
– Niveau 5 : « mind off » (esprit libre)
Le véhicule maitrise tous les aspects de la conduite, dans toutes les conditions, et réagit à tous les événements qui se présentent, comme (et mieux) qu’un humain. Il n’y a plus de volant, pédales et levier de vitesse.
Pour ces trois niveaux, les véhicules ne sont pas autorisés à être commercialisés, et pour les tests, la loi impose qu’un ingénieur soit toujours présent dans l’habitacle.
Les acteurs
Historiques ou nouveaux, nombreux sont les acteurs à se positionner sur le marché du véhicule autonome, pour les usages privés ou pour les transports collectifs. Les constructeurs : Renault Nissan, General Motors Toyota, Honda, PSA Peugeot Citroën, Audi, Volkswagen, Volvo, BMW, Daimler, Ford, Hyundai-Kia, Tesla, etc. Les opérateurs de transport : Transdev, RATP, Keolis, Arriva, etc. Les prestataires de technologies (intelligence artificielle et connectivité) : Nvidia, Google (via sa filiale Waymo), Akka technologies, Ericsson, mais aussi les équipementiers Valeo, Bosch, Autoliv, Continental, etc. Les prestataires de services et de divertissements aux passagers : Amazon, Baidu, Alibaba, Apple, etc. Et les prestataires de services de mobilité : Uber, Lyft. Dans cet écosystème complexe, des partenariats, rachats, ou encore co-créations s’opèrent pour développer, produire et commercialiser des véhicules autonomes tous plus innovants les uns que les autres.
Le défi de la performance algorithmique
De nombreux opérateurs de voiture autonome ont essuyé des erreurs liées aux capteurs mais surtout aux interprétations algorithmiques des données qu’ils collectent. En Mars 2016 en Arizona a eu lieu le premier accident mortel. Il était la conséquence d’une défaillance de l’un des algorithmes d’intelligence artificielle embarqué qui a mal géré la présence d’un humain hors d’un passage piéton. Intégrer un nombre infini de scénarios dans les programmes des véhicules afin qu’ils sachent réagir de manière adaptée dans toutes les situations est l’un des plus grands défis que les acteurs du marché doivent relever.
Le défi de l’éthique
L’autre, est celui de l’éthique, qui soulève des questions inédites. Quelle décision prendre dans une situation où il s’agit de choisir entre sauver la vie d’un piéton ou celle d’un passager ? Une récente enquête, appelée la « Machine morale », menée par des chercheurs du CNRS, du MIT, de Harvard et de l’Université de Californie auprès de 2,3 millions de personnes dans 233 pays, montre qu’il sera difficile de s’entendre sur un code éthique universel. Notamment parce que la plupart des principes moraux qui guident les décisions d’un conducteur varient selon les pays. Par exemple, dans certains pays, on préfère sauver un chien plutôt qu’un humain qui n’aurait pas respecté le code de la route ou une femme cadre plutôt qu’un homme du même statut.
Le défi du mal des transports
Une fois ces questions tranchées (si tant est que cela soit possible), la cinépathie ou le mal des transports pourrait représenter un frein à l’adoption des voitures autonomes. C’est l’objet de l’étude Design guidelines to minimise self-driving carsickness réalisée par Cyriel Diels, chercheur au Centre de recherche sur les transports et les mobilités de l’université de Coventry en 2015. Il y décrit comment la nausée peut se manifester lorsqu’un véhicule autonome accélère, décélère ou tourne sans que le conducteur l’ai anticipé. Ce qui peut être accentué par, comme le prévoient beaucoup de concepteurs de voitures autonomes, des sièges positionnés dos à la route.
Et enfin, qui dit voiture connectée, dit, comme pour tout ce qui est relié à internet, cyber-attaques. Et sur ce sujet aussi, de nombreux défis restent à relever.