Au cours d’un micro-trottoir réalisé le 20 avril par France Bleu à Montpellier pour France Inter, à la question « pourquoi vous ne votez plus ? », un homme répond : « parce que ce sont tous des escrocs ». Ambiance… Par ailleurs, le mot « indécision » est certainement celui qui a été le plus utilisé au cours des dernières semaines dans les médias. Selon l’enquête du Cevipof publiée par Le Monde le 20 avril, 28 % des électeurs interrogés ne sont toujours pas sûrs d’aller voter, et parmi ceux qui le sont, 28 % ne savent pas encore pour qui ils vont aller voter.
La démocratie est en crise… mais le débat n’est pas nouveau. Depuis la révolution française, on se demande si la démocratie est réellement synonyme de souveraineté populaire. Axelle Lemaire – qui défendait avec vigueur les « civic tech » lorsqu’elle était secrétaire d’Etat chargée du numérique – avait lancé : « Que celui qui pense que la démocratie va bien lève la main ! » Les initiatives pour encourager la démocratie participative ne sont pas non plus nouvelles.
La politologue américaine Carole Pateman imaginait, dans Participation and Democratic Theory (Cambridge University Press, 1970), un système démocratique reposant sur la participation des citoyens. Dans Droit et Démocratie (Gallimard, 1997) le philosophe allemand Jürgen Habermas prônait la démocratie délibérative pour aboutir à de meilleures décisions politiques. Et en remontant encore plus loin, pour Aristote (384-322 av. J.-C.), dans La Politique, puis au XVIIIe siècle pour Montesquieu dans De l’esprit des lois, le tirage au sort d’élus était le mode de gouvernance idéal pour assurer une réelle démocratie.
Rendre la démocratie plus participative
Aujourd’hui, ce sont les civic tech qui s’y intéressent activement. Un mouvement dont l’objectif est de rendre la démocratie plus participative, et qui met ses compétences technologiques au service de l’amélioration de la vie publique, du renouveau de la démocratie, voire de l’ubérisation de la politique. Après l’économie collaborative, voici la politique collaborative !
Nombreuses sont les civic tech en France. Armel Le Coz, cofondateur du collectif Démocratie ouverte et de la plate-forme Parlement & citoyens, les catégorisait, le 8 novembre 2016, en sept familles.
Les citoyens autonomes. Ils ne comptent plus sur les institutions pour trouver des solutions, alors ils s’auto-organisent : Les colibris, les Zèbres, Alternatiba, etc.
Les révolutionnaires. Ils refusent le système actuel, veulent « hacker » la politique, et tout changer : Nuit debout, Laprimaire.org, La Vraie Primaire, La Primaire des Français, Ma voix, etc.
Les formateurs. Ils veulent former les citoyens à l’utilisation de nouvelles méthodes de démocratie, diffuser une culture collaborative, ouverte, fondée sur l’épanouissement personnel, l’autonomie et la responsabilité : L’université du Nous, Acropolis, Le Pavé, La Maison du citoyen, Liberté Living-lab, SuperPublic, Voxe.org, etc.
Les transformateurs. Ils travaillent de l’intérieur, auprès des institutions et décideurs afin de les accompagner au changement : Cap collectif, Territoires hautement citoyens (projet de Démocratie ouverte), etc.
La démocratie participative. Elle est à l’initiative des collectivités et administrations qui souhaitent développer la participation citoyenne, avec des jurys citoyens, participations en ligne et via mobile, au sein de conseils de quartiers, de jeunes, d’anciens, etc.
Les geeks. Ils ont développé des plate-formes et outils numériques sur la base de technologies peer to peer afin de permettre des échanges et débats : Baztille.org, Change.org, Communecter.org, Civocracy.org, DemocracyOS.eu, Demodyne.org, Fluicity, Lafabriquedelaloi.fr, Laprimaire.org, Make.org, Nosdeputes.fr, Parlement et Citoyens.fr, Pilitizr.com, Questionnezvoselus.org, Secure.avaaz.org, Stig, Tellmycity.com, We sign it, etc.
Les fédérateurs. Ils souhaitent fédérer des initiatives, organisent des événements, des rencontres, des débats : Démocratie ouverte, Institut de la concertation, Gniac, Unadel, Décider ensemble, Pouvoir citoyen en marche, Synergies démocratiques, etc.
La France est considérée comme un des précurseurs dans le domaine des initiatives de civic tech. Par exemple, la plate-forme Cap collectif fondée par Cyril Lage, qui accompagne les collectivités dans leur volonté d’associer les citoyens à la prise de décision publique, avait organisé, en octobre 2016, la consultation sur la loi pour une république numérique portée par Axelle Lemaire. Cette consultation était une première en France et dans le monde. Elle a permis d’introduire quatre nouveaux articles et quatre-vingts modifications dans le texte de la loi avant son adoption au conseil des ministres.
Pétition en ligne
Mais pour le politologue Clément Viktorovitch, interviewé dans le numéro 10 de la revue L’ADN, bien que les civic tech soient de formidables leviers de démocratie participative, leur impact sur le système politique reste marginal. Car les citoyens les utilisent peu. Seule une éducation à la participation pourrait susciter l’envie de s’associer aux processus de décisions politiques. Et cela passerait par une refonte du système éducatif : « Il suffirait que tous les enfants bénéficient d’une éducation dans la participation pour voir naître, en l’espace d’une ¬génération, une aspiration générale à la démocratie participative », précise le politologue.
En attendant, signer une pétition en ligne pour la revalorisation de l’allocation adulte handicapé, pour créer un financement destiné à la recherche sur les cancers pédiatriques, ou pour la levée de l’immunité parlementaire de Marine Le Pen (sur Change.org), c’est déjà utiliser les civic tech.