Qu’est ce que les algorithmes savent de nous ?

Ils occupent dans nos vies une place de plus en plus centrale, si on a pas beaucoup de contrôle sur eux, au moins sachons ce qu’ils font.

Pour rappel, les algorithmes sont basés sur des mathématiques très complexes, ils sont composés d’une suite d’instructions qui vont produire un résultat calculable. Avec la transformation digitale, nous sommes entrés dans une société où nous sommes de plus en plus « calculés ». Avec la multiplication des traces numériques que nous laissons sur internet, ces calculs sont intensifiés, accélérés.

Que calculent ces algorithmes ?

Pour Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire des usages d’Orange Labs et professeur associé à l’université de Marne-la-Vallée (LATTS), qui vient de publier A quoi rêvent les algorithmes, nos vies à l’heure des big data, il existe 4 types principaux d’algorithmes. Ils ont tous pour objectif de trouver, a travers le « bruit » que nous laissons sur internet, nos traces, d’identifier un signal, c’est-à-dire des informations nous concernant.

La popularité. Même si le web est immense (à tel point qu’on ne sait pas le mesurer), on navigue en réalité sur une toute petite proportion de l’information potentiellement disponible. Car lorsque l’on clique sur les liens en 1ere page de Google, que l’on clique sur un lien tweeté, ou que l’on regarde une vidéo partagée sur Facebook, nous donnons un vote de confiance à ces sites et les faisons donc remonter dans les pages de recherche de Google. Cet algorithme est donc un sélectionneur.
C’est un processus démocratique puisque tout visiteur est considéré comme unique et possède une voix. Mais dans la réalité, beaucoup trichent. Par exemple, Le Figaro a racheté le site d’Evène uniquement pour récupérer ses clics.

L’autorité.  Le jugement des pairs est central pour classer l’information, tout le monde cherche à obtenir de la reconnaissance. L’information retenue par internet est celle qui a été retenue comme la plus importante par les internautes. Ceux qui méritent d’être placés en haut par Google sont ceux qui ont été cités et récités par d’autres. Cet algorithme est donc méritocratique, et non démocratique. C’est l’algorithme du Page Rank, inventé par Larry Page. Avec cet algorithme, chacun essaie aussi tricher pour obtenir une bonne position : avec la création de sites pour se faire citer, ou encore avec la création de fermes de liens (création de sites à la volée qui se citent entre eux). Google trie alors les bons des mauvais liens, et fait la différence entre référencement naturel ou organique.

La réputation. Les réseaux sociaux viennent compenser l’autorité de Google. Ils proposent un autre système de hiérarchisation de l’information, qui ne comprend plus de centre (comme le monopole de l’algorithme de Google). Chacun définit son propre point de vue, en choisissant des amis auxquels il s’abonne. Les réseauteurs sociaux définissent un périmètre de ressources d’informations, et ne vont voir que les informations partagées par cette communauté.  C’est l’individu qui est responsable des informations qu’il reçoit, via ses liens d’affinités. Les algorithmes qui « calculent » sur les réseaux sociaux cherchent à prédire des tendances à partir des signaux sociaux. Mais ils ont encore beaucoup de mal à le faire, car malgré ce qui se dit, on n’arrive pas à prévoir le résultat d’élections, le succès d’un film ou le cours boursier d’une entreprise à partir de ce qui se dit sur les réseaux sociaux. Sinon les écossais seraient indépendants puisque plus de 60 % d’entre eux y étaient favorables sur les réseaux sociaux…

La prédiction individuelle. Ces algorithmes mesurent ce que font les gens, analysent leurs traces sur internet, afin de prédire leur comportement individuel futur à partir des traces de leur comportement passé. L’algorithme ne devine pas le futur mais il prolonge la pente d’un comportement passé. Par exemple, voici ce qui se passe en 1 millième de seconde lorsque l’on clique sur une page du Monde pour y lire un article :  notre cookie qui contient la trace de nos navigations passées et est envoyé vers un site d’enchères automatique ; il est mis aux enchères entre des annonceurs qui vont regarder nos traces – dans lesquelles il n’y a pas les catégories habituelles du media planeur : ni nom, ni âge, ni sexe, ni CSP, ni le niveau de revenu, mais seulement nos comportements digitaux ; l’algorithme va chercher tous les utilisateurs qui ont le même type de profil, puis proposer des enchères haute ou basses. Les annonceurs se battent pour le prix qu’ils sont prêts à payer pour que leur publicité s’affiche, et  l’annonceur qui a remporté pourra afficher sa publicité sur notre page de lecture du Monde.

Les algorithmes rêvent de nous faire changer de paradigme. Et en cela ils suivent les nouveaux désirs des individus de ne plus être représentés par des institutions, des médias, des états, mais de se représenter eux même. Les algorithmes cherchent à pourvoir calculer la société sans la catégoriser, ils n’y sont pas encore prêts, mais ils y travaillent …